Salut à tous ! Je ne suis pas présentable, paraît-il.
J'ai habité treize ans avec un loup, c'est vous dire.
Chez moi il y a des vaches qui volent, des pierres qui pondent,
des oiseaux que l’on trait et les montagnes de roches voyagent en camion.
Ailleurs je ne sais plus trop bien si les trains partent à l'heure, si les chenilles
chantent ou font du pouce.
Quand il pleut, les arbres explosent en silence.
Je n'ai qu'un bac en rues, en trottoirs, en tavernes, un doctorat d'espoir.
J'ai pris les mots où ils étaient, dans la bouche et la rue, loin des grammaires,
des dictionnaires et des académies.
J'ai appris à écrire dans les tavernes et les restaurants cheap, sur le skaï des minounes et les toilettes de gare.
J’élève des poules pour pondredes poèmes.
Et même des lapins dont je me sers des oreilles pour capter la parole.
J’écris à grandes pelletées de phrases qui font un bruit de terre en tombant.
J'écris au fil à plomb. Je me nourris de terre, de pollen, de cailloux.
Je ramasse les virgules dans les armoires aux feuilles et l'eau blanche des songes
dans la paume des rochers.
Je mange les pépins pour renaître en pommier.
Je trace l'étoile du Berger dans la laine encore fraîche.
J'arrache les larmes au cimetière, les minutes à l'horloge.
Je promène un jardin au bout d'un baluchon.
Ce matin je me suis posté pour aller vous rejoindre. Je serai dans l'enveloppe.
La boîte à malle s'est perdue. Le facteur s'est pendu.
La postière est enceinte et ce n'est pas de moi.
J’ai toujours écrit sans savoir comment ni pourquoi.
Je continue pour les mêmes raisons.
Jean-Marc La Frenière
Sur les autoroutes de la couleur du deuil, les valises de char ont la taille d’un cercueil. L’homme ne rêve plus. Quand il raisonne, sa tête résonne comme une tirelire.
Il y a ceux qui cueillent les fruits mûrs et d’autres des sous noirs, ceux qui bâtissent
des étables et d’autres des prisons, ceux qui jouent à la marelle et d’autres à la guerre, ceux qui tirent à la courte paille et d’autres des oiseaux, ceux qui ouvrent la bouche
pour chanter et d’autres pour mentir. Les masques tombent un à un. J’y mets le feu aux poudres. On n’apprend plus aux enfants à marcher, mais à ramper.
On les oblige à nettoyer leur cage. L’homme est comme ces animaux qu’on mène
à l’abattoir et qui ne mordent plus. Malgré les bungalows et les tours à bureaux,
nous habitons les restes. L’électricité tout comme le pétrole hypothèquent la terre.
J’ai hâte que les camions à bennes transportent la poussière des prisons, les banques démolies, que le chiendent dévore l’asphalte et que les pissenlits mangent le béton par
les racines. J’attends ce temps sans brique ni fanal, sans cadran ni drapeau.
Sans le sou sans pays, j’attends ce temps un carnet à la main, une bêche dans l’autre, un pied dans la marge et l’autre dans la terre. L’âme a faim d’autre chose que du pain.
Il n’est pas normal qu’on se méfie des poignées de main. Et pourtant… Je sais pourquoi pleurent les saules, pourquoi les bêtes ont des crocs, mais je ne sais pas pourquoi les hommes font la guerre. La colonne vertébrale est comme un cran d’arrêt dans le canif
du corps.
Je bois l’eau de la nuit pour me rendre invisible, mais je suis qu’une ombre en chemise de nuit que visent les fusils et que mordent les chiens. Du stress à la détente, le sens du monde change selon qu’on ouvre ou qu’on ferme la main. Les eaux qui passent sous le pont clament leur liberté. Certains jours, le vent s’appuie sur mon épaule. Certains autres, il fait claquer les portes et renverse les chaises. Tels des animaux, les nuages de pluie marquent leur territoire en pissant sur le sol. J’ignore ce que j’écris mais j’en connais la route. La fin commence dès le début. Nous avons tous la mort tatouée sur la peau. Entretemps, un cœur se débat dans notre habit de vie. Quand le soleil se couche, des milliers de grains de beauté tatouent la peau du ciel. J’emprunte à la parole
comme la lune sa lumière. Il y a des mots qui se rencontrent et d’autres qui s’évitent,
des phrases qui s’attirent et d’autres qui se fuient. Il n’y a pas d’amour entre la chair et le métal. Un monde en ruines se prépare. Aller sur la lune ne soulage en rien la misère du monde. En plus des tsunamis, des tornades, des ouragans, il y a aussi la guerre.
Les hommes s’entretuent par drones interposés. Avec ce qui reste, je bâtis sur la page
une maison de papier en petits blocs de mots. J’écris le mot haine contre la haine, le mot guerre contre la guerre. Quand j’écris le mot ruche, mon crayon fait son miel dans le zigzag des abeilles. Les syllabes qu’on écrit sont déjà plus qu’un mot. Un mot avec un autre peut devenir un corps, une route, une maison, un homme. Le fruit retourne à sa racine. La pluie remonte vers le ciel. Les métaphores s’affolent dans leur cage en papier.
J’avance entre les très beaux jours et les moins beaux, entre l’enfer et le paradis, entre la fleur et le poignard. Les marches qu’on descend sont les mêmes qu’on monte.
Les montres sans aiguilles n’arrêtent pas le temps. Le passé simple ne l’est jamais et le présent est imparfait. Le squelette qui nous porte est celui de la mort.
Quand l’homme a joué l’homme, il s’est perdu au jeu. Devant l’injustice, la haine,
la cruauté, je lâche les mots comme une meute de chiens. Je crie. J’aboie.
Je hurle. La vérité suffoque sous une couche de poussière. Entre vivre et mourir,
seul l’amour a du sens. On se sent petit entre les arbres. On se sent vide entre les édifices. Je préfère le petit au néant, la luciole au néon, le nécessaire au trop plein.
Tant que j’écris, je resterai debout. Je narguerai la mort. On n’invente jamais rien.
Tout existe quelque part. Je me soumets aux mots pour défier la loi.
Un seul quignon de pain, une fleur qui éclot, un chat qui passe comme un ange,
nous invite à la vie.
suite suivre :
Jean-Marc Lafrenière sur www.lafreniere&poesie