Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 mai 2015 6 30 /05 /mai /2015 19:56

LIBÉRATION SAMEDI 23 ET DIMANCHE 24MAI 2015

Par JACKY DURAND envoyé spécial à Hauteroche (Côted’Or)
Photos CLAIRE JACHYMI
AK

Dans la ferme bourguignonne de Bornay-Bas, les brebis et leurs petits paissent librement au milieu de riches pâturages qui abondent en herbes variées.

Tout a commencé par un fameux dîner autour du mouton, en Côte-d’Or. D’abord avec une terrine mêlant abats (foie, cœur) et viande, puis avec de délectables côtes d’agneau enrobées d’un beurre à l’ail des ours. Voilà qui nous met l’eau à bouche pour aller arpenter les prairies de la ferme de Bornay-Bas où Jean Desjobert et Saskia Gierke élèvent en bio ce mouton charolais qui nous a régalé.

Autarcie. Dans le matin printanier, on remonte la départementale épousant le cours de la rivière, dépassant le bourg perché de Flavigny-sur-Ozerain, fief du bonbon anisé, avant de s’enfoncer dans un chemin creux qui se perd au fond d’un vallon. La ferme de Bornay-Bas est blottie là dans la pente depuis le XIIIe siècle. On continue de s’y réchauffer sous une monumentale cheminée engloutissant vingt stères de bois par hiver. Sous un soleil guilleret, on petit-déjeune - comté Marcel Petite et café noir - sur une longue table de bois avec vue sur les 113 hectares de prairies où les 420 brebis et leurs agneaux broutent plus de 40 variétés de plantes. On est bien loin, ici, des usines à viande calquées sur le modèle automobile (lire Libération des 7 et 8 mars) quand Jean et Saskia s’emparent d’une touffe d’herbes avec du petit trèfle, du plantain, du pâturin et de la fétuque.

Ces deux-là étaient faits pour se rejoindre dans ce bout du monde après avoir couru d’autres vies. Saskia est née à Francfort, a vécu à Berlin. En 2010, à 36 ans, elle s’est lancée dans l’apprentissage de la cuisine gastronomique avant de réaliser son rêve : vivre à la campagne dans une forme d’autarcie et d’indépendance visant «à acheter le moins possible». Les parents de Jean se sont installés en 1976 à Bornay-Bas, un an avant sa naissance, pour élever des moutons. «Enfant, j’avais envie de faire autre chose», raconte ce fils qui s’oriente vers le maraîchage après un BTS agricole et une spécialisation en agriculture biologique. Jean roule sa bosse en Argentine, à Lille, à Berlin, travaille dans une ferme en biodynamie, vend des fromages sur les marchés. Puis il intègre les jardins de Cocagne, une association qui favorise l’insertion sociale grâce au maraîchage bio. «Ça m’a beaucoup appris sur la très grande misère et tout ce que la nature peut apporter aux gens en manque de stabilité», explique-t-il.

Talkie-walkie. En 2011, il remet «un premier pied» à Bornay-Bas en campant avec Saskia dans une fermette qui surplombe celle de ses parents. «Je voulais prendre un temps de réflexion avant de décider de m’installer ou pas.» A ce moment-là, il s’est passé «beaucoup de choses dans la relation père-fils», dit sobrement Jean, précisant que son père ne l’a «jamais pressé pour reprendre».

Après le petit-déjeuner, Jean et Saskia se séparent pour rassembler deux troupeaux. La jeune femme remonte le ruban vert du ruisseau du Val Sambon en frappant dans ses mains pour pousser les brebis et leurs agneaux vers le fond de la pâture qui se rétrécit comme un entonnoir. Une escouade d’agneaux tente de se réfugier sous une souche près de l’eau. «Il faut les ramener vers le troupeau, ordonne Saskia, sinon ils risquent de paniquer et de se blesser.» Après pas mal de circonvolutions et un concert de bêlements, les brebis et leurs progénitures finissent par traverser à gué le ruisseau sur une enfilade de pierres plates pour rejoindre un tapis de pâquerettes et de pissenlits.

Chaque matin, Saskia et Jean font ainsi le tour des parcs délimités par quinze kilomètres de clôtures et autant de haies bocagères : «C’est le bonheur, ça lave la tête, sourit Saskia. Les seules contraintes de cette vie viennent de l’extérieur : Sécu, compte bancaire…» Aujourd’hui, elle cuisine gigot, côtelettes et navarin à la ferme-auberge La Grange, à Flavigny-sur-Ozerain.

Au loin, dans la pente, Jean suit à moto une centaine d’agnelles âgées d’un an avec Louise, sa chienne border collie. «Il me manque des moutons», l’entend-on dire dans le talkie-walkie de Saskia, qui rigole : «Les moutons, c’est très con.» Le troupeau s’étire dans le val puis se rapproche d’un carré de pois, d’avoine et d’orge destiné à nourrir le bétail. C’est un curieux ballet entre le berger qui désigne à Louise où les moutons doivent aller, la chienne qui pousse le troupeau puis se tapit dans l’herbe. Les bêtes demeurent au pré jusqu’en janvier, lorsque les brebis lourdes sont rentrées dans la perspective des premières naissances. Il faut alors une heure et demie, matin et soir, pour nourrir les bêtes à la fourche avec 75 tonnes de foin récolté sur l’exploitation. Les agneaux seront sevrés durant l’été.

Mamelle. On monte en haut du val pour jouir du panorama magique sur la colline et l’azur où tournoie un milan royal. «Le bien-être animal, c’est le plein air, dit Jean. On voit aujourd’hui des gamins qui n’ont pas accès à la terre s’installer sur des élevages hors-sol et qui te disent : "Moi, ce que je produis, je n’en mangerais pas".» Plus tard, entre le ratafia de l’apéro, l’époisses et les champignons au vinaigre, il précise son projet : «L’indépendance de l’agriculture est aujourd’hui relative. Je suis à 100% tributaire de la Politique agricole commune. J’ai envie d’aller vers un modèle qui s’affranchisse du système des subventions, que l’on soit en prise directe avec le consommateur. Il faut être un peu plus utopiste, ça se révélera peut-être avec une crise alimentaire majeure.» En 2014, la ferme de Bornay-Bas a vendu 50 agneaux en vente directe et table sur 200 cette année. Les bêtes sont abattues à Beaune. Les carcasses sont ensuite débitées dans le laboratoire de la ferme et conditionnés en caissettes à 13,5 euros le kilo de viande. Jean évoque ces agneaux élevés à l’herbe et au lait : «Du beurre, pour les amateurs d’agneaux laitons.»

Dans le clair-obscur de la vieille bergerie, un agneau tout jaune vient de naître à côté de deux brebis qui vont mettre bas. Saskia s’empare d’une bête maigrelette âgée d’un mois et lui touche les côtes. «Il ne se nourrit pas», commente-t-elle en préparant un biberon de lait. Puis elle se pose sur un muret et donne à boire à l’agneau en le caressant à la manière de la brebis qui pousse son petit vers sa mamelle. «Quand ils sont trop faibles, je leur donne un peu de miel, ça les booste et ça leur donne l’instinct de téter.» Pendant la période des naissances, les nuits de Jean et Saskia sont courtes : ils se relaient toutes les trois heures pour aider les mises bas difficiles. En cas de naissances multiples, lorsqu’une brebis ne peut nourrir tous ces petits, il faut faire adopter un agneau par une autre bête qui a perdu sa progéniture. Cela donne lieu à une étrange mystification : pour persuader une brebis d’adopter un agneau, on recouvre ce dernier de la peau de son agneau mort. «De voir des petites bêtes mourir alors que tu as tout fait pour le sauver, tu apprends que ça fait partie de la vie, estime Saskia. L’adoption aussi, au début, je trouvais cela très trash. Mais ça aide à la vie. Tout cela fait que la viande a plus de valeur pour moi, je la cuisine avec une certaine fierté.»

(1) Ferme de Bornay-Bas, Hauteroche (21). Rens. : 03 80 89 59 94.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de Bien Vivre à la Campagne et pour cette année le 8 juillet La Fête du Lac de Marcenay
  • : Proposer à nos amis des informations et des réflexions sur l’environnement, notre patrimoine, des adresses sur les bons produits de notre région, la Bourgogne …
  • Contact

Recherche

Archives